Pendant la majeure partie du siècle dernier, la transparence fiscale était une notion confuse, ne donnant lieu qu’à quelques accords d’échange d’informations dans des traités bilatéraux autorisant les gouvernements à suivre des finances qui échappaient en grande partie à leur contrôle. Peu d’informations étaient échangées par le biais de ces accords, qui comportaient souvent d’importantes restrictions sur les renseignements qui devaient être échangés. Dans certains cas, ils n’imposaient pas l’échange de renseignements bancaires, car le secret bancaire était considéré comme intangible dans plusieurs pays. De plus, ils ne prenaient pas suffisamment en compte certains mécanismes tels que les actions au porteur, permettant aux propriétaires réels des entreprises de ne pas voir leur nom révélé.
L’avènement de la mondialisation, des entreprises multinationales et de la finance internationale a rapidement exposé les limites de ce système cloisonné, qui permettait aux banques mondiales de se cacher derrière les frontières nationales et de revendiquer le droit au secret, officiellement dans l’intérêt du client, et avec des conséquences potentiellement nocives sur les recettes fiscales. Les autorités fiscales disposaient tout simplement de trop peu d’informations pour pouvoir s’assurer que tous les contribuables acquittaient le montant d’impôt approprié dans les juridictions du monde entier.
Une plus grande transparence s’imposait. À défaut, les contribuables ordinaires seraient lésés, les bases d’imposition seraient globalement érodées et la souveraineté fiscale pourrait même être entamée.
La crise financière et économique actuelle a eu l’effet d’un électrochoc. L’année 2009 a fait date dans la lutte contre les paradis fiscaux et la fraude lorsque le G20 a déclaré que « le temps du secret bancaire [était] révolu ». L’une des décisions majeures prises lors du sommet cette année-là a été de mettre en place le Forum mondial sur la transparence et l’échange de renseignements à des fins fiscales, afin de renforcer la capacité des pays à coopérer sur les questions de fiscalité internationale. Comme l’a souligné Monica Bhatia, qui dirige le Secrétariat du Forum, une coopération efficace en matière de fiscalité a permis d’empêcher les pays de se cacher derrière le secret bancaire pour tromper les autorités fiscales.
L’OCDE, qui publie le Modèle de convention fiscale depuis un demi-siècle et mène la lutte contre les paradis fiscaux illégaux depuis les années 1990, était tout indiquée pour héberger le forum.
Le forum a élaboré une norme sur la transparence et les échanges de renseignements à des fins fiscales, rapidement acceptée par le G20, les pays de l’OCDE, les centres financiers extraterritoriaux et les pays en développement, notamment. En 2010, la Banque européenne pour la reconstruction et le développement a intégré la norme dans sa politique d’investissement, suivie par la Banque mondiale en 2011. Cette norme repose sur trois éléments : la disponibilité d’informations fiables, l’accès des autorités fiscales aux renseignements bancaires, et l’existence d’un fondement juridique pour l’échange de ces informations, sur demande, avec les parties concernés, assorti de mesures de sauvegarde, de règles de confidentialité strictes applicables aux informations échangées, et d’échéances.
Dès avril 2013, le nombre de juridictions s’étant engagées à appliquer la norme et ayant rejoint le Forum s’élevaient à 119, et près de 1 100 nouveaux accords bilatéraux basés sur cette norme avaient été signés. De plus, le forum avait réalisé 113 examens par les pairs − les pays s’évaluant mutuellement dans des rapports − et publié plus de 600 recommandations d’amélioration, dont plus de 300 avaient fait, ou faisaient alors, l’objet de mesures.
Les résultats démontrent que rien n’est éternel, et qu’il n’est désormais plus possible pour les pays de refuser, en raison de règles strictes de secret bancaire, d’échanger des renseignements bancaires à des fins fiscales. En outre, la norme à conduit les pays à introduire de nombreux changements à leur législation nationale, par exemple des mesures garantissant que les propriétaires d’actions au porteur puissent être identifiés. La conformité aux normes internationales est aujourd’hui un thème récurrent au sein des centres financiers internationaux, et les examens par les pairs et le suivi continuent. Les examens par les pairs montrent également que le volume d’informations échangées à des fins fiscales augmente rapidement, et que les délais pour fournir ces informations diminuent tout aussi vite, permettant ainsi aux pays une application bien plus efficace de leur législation.
La prochaine étape du forum sera d’évaluer la conformité des juridictions à la norme, et d’identifier celles qui ne sont pas en phase avec le consensus international. Fin 2013, les juridictions commenceront à recevoir des évaluations pour les 10 éléments individuels de la norme internationale, et une évaluation globale : « conforme », « conforme pour l’essentiel », « partiellement conforme » ou « non conforme »
Pendant ce temps, les autorités fiscales continuent à chercher de nouvelles façons de coopérer. En 2011, après avoir affirmé son soutien à l’échange automatique de renseignements à des fins fiscales, le G20 a demandé à l’OCDE de fournir des analyses sur les questions soulevées. Lors du sommet du G20 à Los Cabos (Mexique) en juin 2012, l’OCDE a ainsi présenté un rapport décrivant ce que sont les échanges automatiques, la façon dont ils fonctionnent, leur état d’avancement et les défis à résoudre.
En avril 2013, les ministres des Finances du G20 ont adopté l’échange automatique de renseignements à des fins fiscales comme nouvelle norme, suivis en juin par le G8 qui s’est engagé à travailler avec l’OCDE afin de « développer rapidement un modèle multilatéral permettant aux gouvernements de trouver et de punir plus facilement les fraudeurs ». Le G8 a également recommandé que les multinationales fournissent aux autorités fiscales des données sur les revenus et les impôts par pays, et que les autorités fiscales aient accès à des informations sur la propriété des entreprises.
Un rapport de l’OCDE, A Step Change in Tax Transparency, présenté en juin 2013 lors du sommet du G8 à Lough Erne (Irlande du Nord), présente quatre étapes concrètes nécessaires à la mise en place d’un modèle mondial, sûr et performant pour les échanges automatiques de renseignements : mettre en oeuvre une vaste législation-cadre, définir un fondement juridique pour ces échanges, déterminer les informations devant être échangées ainsi que les procédures connexes, et développer des normes communes ou compatibles en matière de technologies de l’information.
Deux considérations majeures se détachent. Premièrement, l’évasion fiscale étant un problème mondial, il est nécessaire de développer un modèle pour les échanges automatiques de renseignements et de l’utiliser dans le monde entier, sans quoi on ne fera que déplacer le problème. Deuxièmement, le processus doit être standardisé pour une plus grande efficacité, et pour réduire au minimum les coûts pour les entreprises et les gouvernements.
La réalisation de ce modèle, dirigée par le Groupe de travail n°10 de l’OCDE, progresse rapidement. L’objectif est d’élaborer un modèle commun de transmission et d’échange automatique de certaines informations bancaires détenues par les institutions financières, spécifiant les formats de déclaration, les règles de diligence raisonnable et les méthodes de transmission sécurisées.
En juillet 2013, les ministres des Finances du G20 et les gouverneurs de banques centrales ont demandé au forum d’élaborer un mécanisme permettant de suivre et d’examiner la mise en place de la norme mondiale relative aux échanges automatiques de renseignements. La réunion du G20 en septembre 2013 devrait donner lieu à des directives similaires.
La transparence fiscale est également pertinente pour le Plan d’action de l’OCDE pour lutter contre l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices (BEPS), lancé en juillet 2013 et largement médiatisé. Ce plan en 15 points vise à limiter les possibilités pour les multinationales de déplacer artificiellement les profits hors des juridictions où l’activité a réellement lieu et de les déclarer dans des pays à faible fiscalité afin de réduire, voire d’annuler, leurs impôts. Les actions destinées à lutter contre le transfert de bénéfices vont de pair avec des mesures visant à améliorer les méthodes de fixation des prix de transfert et à clairement divulguer les positions fiscales agressives. Tout cela sera inefficace si l’on n’encourage pas la transparence et l’échange de renseignements à des fins fiscales.
Il s’agit peut-être d’une nouvelle étape significative du processus continu de partage d’informations, et l’on peut espérer que même la fin de la crise ne supprimera pas cette avancée. « Nous avons assisté ces dernières années à un progrès fulgurant en matière de transparence fiscale, selon Monica Bhatia. Le retour en arrière est impossible et le partage d’informations deviendra de plus en plus efficace. Le message est clair pour les fraudeurs : il est de plus en plus difficile de cacher de l’argent. » Gerri Chanel
Pour plus d’informations, contacter Monica Bhatia et Dónal Godfrey à l’OCDE.
Références
OCDE (2013), A Step Change in Tax Transparency, rapport au G8, juin 2013
Voir www.oecd.org/fr/fiscalite/echange-de-renseignements-fiscaux/
©L’Observateur de l’OCDE n° 295, T2 2013
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